thème : Convivialité
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jeudi 26 juillet 2018 à 20h30

Entrée gratuite

La bande-annonce

L'histoire

Rocco (Alain Delon) et ses frères sʼexilent sous la férule de leur mère à Milan pour fuir la misère régnant au sud de lʼItalie. Simone (Renato Salvatori), alors jeune espoir de la boxe, sʼentiche de Nadia (Annie Girardot), une prostituée. Deux ans passés, Nadia fréquente désormais Rocco, qui à son tour devient un boxeur en vue.

Analyse et critique

« Visconti avait décidé quʼil voulait filmer lʼhistoire dʼune mère et de ses cinq fils. Je lui ai tout de suite demandé : pourquoi cinq ? Commençons avec deux ou trois… Mais non, il en voulait cinq, comme les doigts de la main. (…) Ils étaient cinq, cʼétait tellement compliqué ! Tout de suite, jʼai dit quʼil fallait en faire « un à la fois », et donc diviser le film. Luchino nʼa pas cédé sur le nombre, je nʼai pas cédé sur la structure.» Suso Cecchi dʼAmico

Lʼexpérience en studio des Nuits blanches sʼétait soldée pour Visconti par un échec non seulement public mais dans une large mesure critique. La presse de gauche, à la position alors décisive dans le paysage intellectuel italien, considère cette rêverie artificielle comme un acte de trahison du néoréalisme auquel il sʼest voué. Compagnon de route du PCI, le Duc Rouge entend avec Rocco et ses frères remettre lʼéglise au milieu du village en réalisant comme un best-of de sa veine populaire (Ossessione, La Terre tremble, Bellissima), avant de sʼenfoncer dans le foisonnement historique de son aristocratie native. Acte récapitulatif, Rocco et ses frères nʼen témoigne pas moins dʼune continuité thématique avec les oeuvres de palais à venir. Le décadentisme du Visconti seconde manière sʼarticule autour dʼune rupture entre passé et présent sʼexprimant en Italie dans la tension territoriale Nord / Sud. La difficulté à faire peuple dans la Botte entre méridionaux appauvris et sommet géographique industrieux sʼincarne ici dans lʼexode dʼune famille de Lucanie projetée en gare de Milan (tout un symbole de la mégalomanie mussolinienne), pour connaître à son arrivée lʼoppression qui attend les ouvriers du « miracle économique ».

Le rapport de Visconti aux classes populaires latines a toujours charrié une certaine ambiguïté, la solidarité objective quʼil entretenait avec celles-ci tenant dans une haine partagée (« par le haut » et « par le bas ») de la grande bourgeoisie milanaise. Dans Rocco et ses frères, film organisé selon une logique sérielle dont le déploiement préfigure les grandes séries TV, six membres du prolétariat (une mère, ses fils) ont valeur dʼarchétype, deviennent sous un regard altier des figures de tragédie antique. Dʼoù lʼusage de comédiens, dʼune part non-transalpins, de lʼautre quʼon croirait difficilement réellement issus du milieu décrit. Ici se marque une césure entre lʼachèvement néoréaliste et les règles naturalistes. Si cette ambition de créer un monde entier de mythologie, de déployer autant que possible, fait la particularité dʼun film matriciel de toute une veine narrative (de Francis Ford

Coppola à James Gray), il y aurait parfois eu un gain éventuel à ramasser quelques épisodes… toute la première partie semblant, pour lʼexemple, sʼévertuer à euphémiser la fascination du cinéaste pour un jeune Alain Delon à laquelle il laissera libre cours dans la seconde.

Cinq frères, donc. Dans lʼordre épisodique: Vincenzo dʼabord (Spiros Focas).

Emigré avant les siens, lʼarrivée de sa fratrie et dʼune mater dolorosa digne des

Soprano met à mal son ménage récent avec Rosaria (Claudia Cardinale, encore novice). Il représente tout lʼeffort vers un foyer petit-bourgeois contre lequel vient buter lʼéparpillement congénital. Simone ensuite (Renato Salvatori), emblème de la corruption citadine entraîné dans les tréfonds de la criminalité. Rocco ensuite (Delon), visage dʼange incarnant lʼabnégation chrétienne, lʼaspiration à la sainteté.

Ciro (Max Cartier) emblématise pour Luca, le petit dernier, dans un épilogue didactique la solution marxiste, lʼouvrier éduqué affranchi de la fausse conscience, tourné vers un avenir révolutionnaire selon ses voeux. Toute cette clique aurait pu sʼen tenir à subir bon an mal an sa misère ordinaire. Mais il y aura eu Nadia (Annie

Girardot) que Rocco ne peut accepter de reprendre à Simone. De là la tragédie vieille comme Caïn et Abel, le ferment de la rivalité entre lʼimpulsif, le rageur raté, et celui qui sʼaveugle quant à un dépassement de soi par la charité. Ce sera cette gouailleuse, rayonnante aux abords du lac de Côme, humiliée sur la terrasse du

Duomo, qui sera finalement sacrifiée au lien du sang. Peu de cinéastes ont ressenti avec la vivacité de Visconti la violence sous-jacente au familialisme, celle qui irrigue ses plus beaux films, dérangeants et secrets : Sandra, LʼInnocent…

Comme lieu où montrerlʼélévation dʼun frère contre lʼautre : un ring. De tous les sports, le « noble art » est celui dont le cinéma sera durablement tombé amoureux.

Visconti résiste dans une certaine mesure à la fascination. La boxe devient chez lui le symbole de lʼexploitation capitaliste des corps. Quand un caïd (Roger Hanin) inspecte la dentition de son poulain comme il le ferait dʼune de ses bêtes de somme… Quand la « dette » du perdant est transférée sur un frangin peu désireux de se battre, mais objectivement plus compétitif. Sa brutalité sʼétend à la rue, où

Simone passe longuement Rocco à tabac, après avoir abusé de Nadia. Un système qui ramène les exploités à leur animalité, leur ôte la santé après les avoir soumis à sa discipline. Un idéal promotionnel, à lʼintention dʼune minorité récompensée pour son mérite… alors quʼelle-même se trouve piégée à ce jeu. Mis au rebut, la condition de lʼathlète déchu semble aussi enviable que celle des chevaux élevés par Visconti pour sa passion des courses hippiques, quand leur carrière se conclut. Eux au moins sont-ils achevés dʼun coup. On peut toujours sourire à sa tendance, au début des années 60, aux conclusions pontifiantes (brave Ciro, rabbin de Sandra, Prince Salina dissertant sur les guépards et les chacals), cʼest quʼil faut selon les mots de Gramsci « allier le pessimisme de lʼintelligence à lʼoptimisme de la volonté ». Lʼintelligence de Visconti étant ce quʼelle est, il vaudrait mieux pour le contrepoids quʼil soit tonique.

Sur un mode opératique assumant le risque du schématisme, Rocco et ses frères conclut la première moitié de carrière viscontienne. Cinéaste tardif, formé en assistant Renoir quand celui-ci était proche du Front Populaire, il va désormais opérer un retour sur soi, explorer le mouvement historique menant le rejeton dʼune grande famille à vendre la cause des lendemains qui chantent. Il y a dans Rocco et ses frères le ferment dʼune nostalgie pour un Sud déchu, dʼune utopie méridionale balayée par un destin autrement plus implacable avec laquelle le cinéaste nʼaura de cesse de se débattre, la faisant ressurgir pour la questionner, celle-ci ne cessant de le hanter après son examen critique. Ciro (à qui il accorde sa raison) demande à Rocco (porte-parole dʼun coeur quʼil nʼarrive pas à faire taire) ce quʼil croit quʼil serait advenu dʼeux sʼils y étaient restés, dans leur Lucanie natale : « Je crois que nous serions encore tous unis. » Si Visconti a tant voulu lʼunité internationaliste (que son propre cosmopolitisme permettait favorablement dʼimaginer), ce fut peut-être aussi dʼavoir été si seul, une fois les siens éclipsés.

Accumulant miroir aux alouettes (Bellissima), couple impossible (Ossessione), populations dénigrées (La Terre tremble), il réalise sur la partition de Nino Rota le film-somme de sa manière indignée. Parfois laborieux sur la durée, ce classique tient sur ses morceaux de bravoure : lʼarrivée nocturne, lʼembuscade par Simone de Rocco et Nina, leur rupture sur le Dôme de Milan, le montage parallèle dʼun crime passionnel et dʼun match victorieux. Cinéaste des passions, Luchino Visconti excelle à filmer les instants de crise, gestes de lutte ou de renoncement. Formant par lʼaddition des protagonistes sur cette ligne mélodique comme un choeur antique, il rapproche ici lʼart de la mise en scène de la conduite dʼun opéra.

Par Jean-Gavril Sluka » DVD CLASSICS juillet 25, 2018


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Source : http://cinevallee.fr/rocco-vous-attend-jeudi-…